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le droit au secours des réfugiés

En juillet 2016, François Cantier, président d’ASF France, est allé en Grèce avec une équipe d’avocats à la demande de Médecins du monde pour apporter une aide juridique aux migrants qui continuent à arriver – au péril de leur vie – sur les côtes grecques. Il explique pourquoi l’accord UE-Turquie est une violation du droit européen, et un péril pour l’avenir de l’Europe.

Quelle image gardez-vous de votre mission en Grèce ?

Version 2Ce qui m’a marqué, ce sont ces dessins d’enfants dans le camp de Mouria, sur l’île de Chios, où s’amassent des migrants fuyant les violences du proche et moyen Orient. Affichés sur le mur d’un container servant de lieu d’accueil et de soins à Médecins du Monde, ils racontent sans fard la violence de leurs ressentis : des soldats qui tirent, des coques de noix chahutés par la mer, et des portraits de leurs proches pris dans la tourmente de l’exil… Deux jours auparavant, sur l’île de Lesbos, une embarcation avec dix personnes à bord, venant de Syrie, avait chaviré : 4 d’entre eux, dont 2 enfants, ont péri noyés.

Pourquoi ASF s’est-elle engagée auprès de Médecins du Monde en Grèce ?

Les « French Doctors » de Médecins du monde, très présents dans les hotspots grecs, ont pris conscience de l’importance du juridique et du judiciaire pour assurer pleinement leur mission. Soigner, c’est leur vocation première, mais tout médecin sait que des conditions de vie décentes peuvent éviter bien des maladies et faciliter les soins, d’autant que la santé est tout simplement un droit fondamental. C’est ainsi que MDM a obtenu devant la justice française la condamnation de l’Etat à installer sur le site de Calais le minimum d’équipements nécessaires à la préservation de la santé et de la sécurité de ses occupants. Dans ces décisions du Tribunal administratif de Lille et du Conseil d’Etat de l’automne 2015, les juges ont considéré que la situation des migrants à Calais constituait une violation des droits fondamentaux de la personne humaine.

sur-le-bateauEn quoi l’accord UE-Turquie est-il, selon vous, une violation du droit d’asile ?

C’est la première fois que le continent Européen est confronté à une telle situation dans des Etats de droit, encadrés de surcroît par la supra légalité que constitue l’espace européen avec son Conseil de l’Europe et l’Union Européenne.

Et pourtant que ce soit en Grèce ou en France, l’Etat ne sait pas accueillir décemment ces migrants afin que leurs droits essentiels soient respectés : je parle ici du droit à la vie, donc à la santé, à la sécurité, à l’éducation pour les enfants et à l’asile pour la plupart qui ont fui la violence et la guerre.

Les réfugiés arrivent de la Turquie toute proche par une voie difficilement contrôlable, les côtes et la mer, cherchant à atteindre l’espace européen, synonyme pour eux de paix et d’espérance de jours meilleurs. La Grèce constitue la première étape avant d’aller trouver refuge plus au nord. Elle a ainsi reçu plus de 800 000 migrants depuis 2015, et près de 60 000 s’y trouvent encore, bloqués par la fermeture des frontières albanaises, bulgares et macédoniennes, et donc dans l’impossibilité d’aller plus loin.

Afin de tarir cette immigration devenue insupportable aux yeux de gouvernements à la traîne d’opinons publiques manipulées par les partis d’extrême-droite, l’Europe et la Turquie ont signé un accord le 18 mars 2016, prévoyant notamment le renvoi en Turquie de tous les nouveaux migrants à compter du 20 mars 2016.

Cette disposition a ôté tout espoir de trouver refuge sur le continent européen a des centaines de milliers de migrants et plonge ceux parvenant jusqu’en Grèce au péril de leur vie dans la crainte d’un retour en Turquie d’abord et chez eux ensuite. Pourtant, il s’agit d’une décision sans valeur juridique, car seul un traité, ratifié par les Parlements de chaque Etat membre, pourrait obliger les Etats et l’Union Européenne.

En lui-même, l’accord UE-Turquie constitue une violation pure et simple de la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 reconnaissant à toute personne en danger la possibilité de solliciter l’asile, l’un des droits les plus anciens de l’histoire de l’humanité.

Version 3Comment peut-on défendre les droits des réfugiés et migrants ?

Avocats sans Frontières France et Médecins du Monde, avec la participation d’un grand cabinet d’Avocats britannique, ont décidé d’unir leurs forces afin de contribuer au respect des droits de ces réfugiés et pour que les dispositions de l’accord qui les prive de l’exercice du droit d’asile ne soient pas mises en œuvre.

Notre travail a consisté, à compter du 10 juillet, avec une équipe qui comprenait outre cinq avocats français d’ASF F, un avocat grec employé de Médecins du monde et deux interprètes (anglais arabe et anglais farsi) à identifier précisément le parcours des migrants arrivant en Grèce, de voir à chaque étape si leurs droits étaient respectés et quelle était la présence souhaitable, nécessaire ou indispensable d’avocats ou juristes. Ce travail a été d’une grande complexité en raison de l’imbrication des textes grecs et européens, des fréquents changements intervenant dans la législation nationale, de la distance entre les droits existants et leur effectivité et de la volatilité de la situation des migrants, avec notamment une reprise des arrivées sur les îles ces dernières semaines.

Mais nous avons pu ainsi déterminer quels types d’interventions et d’actions judiciaires étaient nécessaires pour aboutir au respect des droits des migrants en ce qui concerne leur liberté d’aller et venir, leur sécurité, leur accès à la nourriture et aux soins mais aussi leur droit à solliciter l’asile en écartant l’obstacle que constitue l’accord UE-Turquie.

Quelles sont les interventions et actions judiciaires que vous envisagez ?

Le gouvernement et la société civile Grecque font des efforts admirables pour recevoir et traiter dignement les réfugiés et les exactions, très marginales, de groupuscules d’extrême droite ne constituent que le miroir déformant des souffrances du peuple grec soumis par la crise à rude épreuve.

La solidarité internationale, tant par la voie de l’Europe que de ses ONG, contribue à soulager les misères en apportant le nécessaire au quotidien, les abris, la nourriture et les soins.

Mais l’absence d’avenir et la menace d’un retour forcé en Turquie d’abord et dans leur pays d’origine ensuite plongent ces rescapés de l’horreur dans le désarroi le plus total. Eux qui ont tout laissé, tout perdu et pris tous les risques pour arriver jusqu’à nous.

Voilà pourquoi nous avons décidé d’agir, en déclenchant ou soutenant, aux côtés d’avocats et juristes grecs, des procédures destinées à neutraliser les effets de cet accord Union Européenne -Turquie, afin que les réfugiés puissent bénéficier du droit d’asile.

La Grèce ne peut pas et ne doit pas faire face seule à cette situation. A travers elle, c’est bien l’Europe où ces personnes cherchent refuge et des circonstances qui nous concernent tous qui les poussent jusque chez elle.

Qui peut mener ces actions juridiques sur le terrain ?

La Grèce ne manque pas de juristes et d’avocats. Ces derniers sont plus de 50 000 alors que la France, six fois plus peuplée et avec un PIB par habitant 2 fois supérieur, n’en compte que 60 000. Avec la crise, ces professionnels sont dans une large proportion démunis à tel point qu’ils exercent le plus souvent une autre activité et peu ont des compétences suffisantes dans le domaine du droit des réfugiés.

Des formations courtes axées sur les questions pratiques auxquelles ils seraient confrontés leur permettraient d’être rapidement opérationnels, avec les associations que nous avons rencontrées et qui fournissent l’essentiel du travail juridique sur le terrain en engageant la plupart du temps des avocats; avec la mise en place d’un projet qui encadre et coordonne tant ces formations que les actions de defense de migrants victimes d’atteintes à leurs droits ou menacés de refoulement.

Dessin d’enfant au camp de Chios. © François Cantier

Pourquoi la question du droit des réfugiés est-elle si essentielle pour l’Europe ?

La référence au droit n’est pas une démarche vaine : ce sont bien les droits fondamentaux qui constituent l’armature de nos sociétés et de l’espace européen. Ce sont eux qui en permanence nous préservent du retour à la barbarie et à la guerre. Et le droit, celui qui figure dans nos textes tant nationaux qu’européens et internationaux, nous impose d’accueillir ces êtres humains en détresse et de les traiter dignement. Dans notre droit national, comme dans celui de toutes les démocraties, le fait de ne pas secourir une personne en danger est un délit. Qui peut ignorer en voyant chaque jour les images des villes martyres de Syrie ou d’Irak que ceux qui y vivent sont en danger permanent de mort ? Soyons assez forts pour imposer cette évidence à ceux des pays d’Europe à qui elle semble échapper sous l’effet des poisons mortels de la démagogie et de la xénophobie; ils ne produiront demain, comme ils le firent au siècle passé, que de la désolation. Il est temps que les peuples d’Europe qui ont payé un si lourd tribut aux idéologies mortifères se ressaisissent et reçoivent avec humanité ces réfugiés, en se répartissant équitablement leur accueil, sachant que ceux qui souhaiteront rester chez nous constitueront pour notre continent une richesse supplémentaire.

 

POUR S’INFORMER SUR SES ACTIONS OU SOUTENIR AVOCATS SANS FRONTIERES FRANCE : www.avocatssansfrontieres-france.org